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Suivi de l’éruption du volcan chilien Calbuco le 22/04/2015 par des stations infrasons

Le 22 avril 2015, le volcan Calbuco au sud du Chili, en sommeil depuis 1972, est entré en éruption projetant un épais panache de cendres haut de près d'une vingtaine de kilomètres (Photo 1). Après son éruption violente et inattendue, le gouvernement Chilien a décrété l'alerte rouge, ordonnant d'évacuer la population dans un rayon de 20 kilomètres aux alentours. La dispersion du panache de cendre a pu être suivie par les satellites Terra de la NASA. Dans la région du volcan, une vingtaine de vols intérieurs ont été annulés. L'alerte a également été donnée dans le sud de l'Argentine qui pourrait être touché par le panache.


 Photo 1: Le panache de cendres rejeté par le volcan Calbuco le 23 avril 2015. Source: Marcelo Utreras ©DR.

Le Chili est après l'Indonésie le pays abritant la plus importante chaîne volcanique au monde. Ce pays compte environ 90 volcans actifs, le Calbuco étant considéré comme l'un des plus dangereux. Celui-ci n'avait plus montré signe d'activité depuis 43 ans. Il s'agit de la deuxième éruption en quelques semaines enregistrée au Chili, après celle en mars du volcan Villarrica, également situé dans le sud du pays, qui avait entraîné l'évacuation de quelque 3 600 personnes.
Des images satellites CIMSS ont mis en évidence des ondes de gravité dans la mésosphère (80-90 km d’altitude) générées par l’onde de choc de l’éruption principale (Photo 2). Cette intense activité éruptive a aussi été détectée par plusieurs stations infrasons appartenant au réseau mondial du Système de Surveillance International (SSI).


 Photo 2 : Ondes de gravité mésosphériques générées par l’éruption du volcan Cabulco. Source: University of Wisconsin’s Cooperative Institute for Meteorological Satellite Studies (CIMSS, http://cimss.ssec.wisc.edu/).

Traitement des données infrasons

La Figure 1 présente un exemple de détections PMCC (algorithme de traitement Progressive Multi-Channel Correlation, Cansi Y., 1995) associées à l’éruption du Cabulco le 22 avril 2015 enregistrées sur la station IS08 en Bolivie, située à 2810 km de distance.


 Figure 1 : Représentation des signaux filtrés entre 0.5 et 4 Hz enregistrés sur la station IS08 en Bolivie. Au bas de la figure, les détections PMCC indiquent les valeurs de vitesse de passage et de l’azimut des ondes entre 0.1 et 4 Hz.

Cette analyse montre deux arrivées principales qui ont pu être associées à des séquences similaires sur les autres stations. La première éruption a été enregistrée par 6 stations du SSI, la plus lointaine étant située à plus de 11000 km (Table 1). La seconde éruption a été enregistrée par 10 stations (Table 2). Les stations les plus lointaines sont situées dans la direction des vents stratosphériques qui atteignent à cette date des vitesses de 100 m/s.

Stations Distance (km) Azimut théorique (°) Heure d’arrivée (TU)
IS02 Argentine 1525 343 22:50:59
IS08 Bolivie 2810 187 00:09:19
IS09 Brésil 3700 215 00:35:09
IS49 Tristan da Cunha Royaume-Uni 5120 245 02:10:30
IS50 Ascension Royaume-Uni 6795 230 04:18:00
IS32 Kenya 11525 227 08:20:10
 Table 1 : Evènement associé à la première éruption daté à 21:50 TU.

Stations Distance (km) Azimut théorique (°) Heure d’arrivée (TU)
IS14 Robinson Crusoe Chili 1010 149 05:39:14
IS02 Argentine 1525 343 05:32:19
IS08 Bolivie 2810 187 06:43:55
IS09 Brésil 3700 215 07:23:05
IS27 Neumayer Antarctique 4800 277 08:22:55
IS49 Tristan da Cunha Royaume-Uni 5120 245 08:39:19
IS47 Afrique du sud 8570 230 11:52:04
IS35 Namibie 8640 230 12:01:04
IS17 Côte d'Ivoire 8675 225 12:26:00
IS32 Kenya 11525 227 14:58:20
 Table 2 : Evènement associé à la seconde éruption daté à 04:22 TU.

A partir de l’ensemble des détections infrasons enregistrées aux différentes stations et en négligeant l’effet des vents sur la propagation, les deux évènements ont été localisés par croisement des azimuts. Pour la localisation, seule la partie la plus énergétique des deux séquences identifiées sur la Figure 1 et commune à toutes les stations a été considérée. Pour les deux évènements, la localisation ainsi calculée se situe à environ 100 km de la vraie position. La simulation de la propagation des ondes permettrait d’intégrer les effets des vents en altitude et de réduire sensiblement cet écart. La Figure 2 présente la localisation du second évènement.


 Figure 2 : Localisation du second évènement par croisement des azimuts des stations (triangles verts). L’erreur de localisation est indiquée par l’ellipse orange.

Le potentiel des infrasons pour la surveillance volcanique

Le réseau du SSI, complété par de nombreuses stations expérimentales, assure à ce jour une couverture globale efficace pour détecter et localiser des volcans actifs à de grandes distances (Assink et al., 2014). Si la mesure des temps d’arrivée des ondes et des azimuts conduit à la localisation du volcan, la mesure de certains paramètres des signaux, comme l’amplitude ou le contenu fréquentiel, peut fournir des informations utiles concernant l’intensité des éruptions. Des études plus poussées permettraient d’intégrer les effets des vents sur la propagation des ondes pour d’une part réduire les erreurs de localisation, et d’autre part caractériser la source éruptive. Ces études contribuent ainsi à l’évaluation et l’optimisation d’un réseau infrason pour surveiller en complément d’autres systèmes d’observation (satellite…), des volcans dangereux peu instrumentés, notamment en présence de couverture nuageuse (Matoza et al., 2009).

Dans ce contexte, en complément des dispositifs existants de surveillance des volcans (satellite, sismique…), le projet Européen ARISE propose d’utiliser le réseau infrason du SSI pour prévenir des risques liés à l’émission de nuages de cendres dans l’espace aérien. Ces travaux sont menés en liaison étroite avec les Volcanic Ash Advisory Centers (VAAC) pour la sécurité de l’aviation civile. Les dernières études des performances du réseau du TICE s’appuient sur de récentes avancées dans les méthodes de simulation en intégrant les effets de la source et de l’atmosphère sur la propagation (Le Pichon et al., 2012). Les méthodes développées permettent d’évaluer plus précisément les seuils de détection d’un réseau donné, offrant ainsi un moyen de fournir un indice de confiance sur les évènements d’origines volcaniques.

REFERENCES