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Séisme et tsunami de Sumatra 12 septembre 2007

Un séisme de magnitude Mw 8.4 s'est produit le 12 septembre 2007 à 11 h 10 min TU (soit 13 h 10 à Paris et 18 h 10 localement), sur la zone de subduction de Sumatra, dans une région considérée comme une lacune sismique : les dernières ruptures locales connues y remontent à 1797 et 1833 (Figure 1). La localisation de l'événement (4.5°S – 101.5°E) se situe en mer, à 130 km au sud-ouest de la ville de Bengkulu (310000 habitants) et 620 km au nord-ouest de Jakarta.


  Figure 1 : Le séisme du 12 septembre 2007 (pointillés rouges) a comblé une partie seulement de la lacune de 1833. En tenant compte de la zone non rompue de Siberut, il reste une lacune de plus de 300 km (pointillés roses) (d'après une figure parue dans Science, vol.317, 21 sept. 2007).

Cet événement se situe à environ 1000 km au sud-est du séisme destructeur de magnitude Mw 9.2 du 26 décembre 2004, le long de la zone de subduction séparant l'Océan Indien de l'Asie du sud-est (subduction de la plaque indo-australienne sous la plaque de la Sonde). Durant les trois dernières années, trois autres événements majeurs se sont produits dans cette région (Figure 2) : le 28 mars 2005 (Mw 8.7, 1313 victimes), le 17 juillet 2006 (Mw 7.7, 730 victimes), et le 16 mai 2006 (Mw 6.8, 5700 victimes). Seul ce dernier événement, n'étant pas un séisme de subduction, n'avait pas généré de tsunami.


 Figure 2 : Localisation de la rupture du 12 septembre 2007, qui s'est produite au large de Bengkulu (environ 300000 habitants), et sismicité locale récente.

Le séisme du 12 septembre n'a vraisemblablement pas rompu la totalité de la lacune historique, dont il reste toujours environ 200 km non rompus depuis au moins 1833 (voir Figure 1). Par ailleurs, la lacune voisine de 1797, dans la région de Siberut, se retrouve toujours de plus en plus chargée par la sismicité récente, définissant ainsi une zone non rompue d'environ 300 km de long, susceptible de produire un séisme du type de celui de mars 2005, avec une magnitude d'au moins 8.7, qui menace la ville de Padang (800 000 habitants).
Le séisme du 12 septembre 2007 a déclenché le système d'alerte mis en oeuvre par le Centre Sismologique Euro-Méditerranéen et a été localisé par le sismologue d'astreinte du CEA. Compte tenu de la magnitude de l'événement et de la proximité des côtes, un message a été envoyé à nos autorités à 14 h 17 (heure de Paris, soit 12 h 17 TU) indiquant la possibilité d'un tsunami. L'alerte officielle a été annoncée et suivie par le Pacific Tsunami Warning Center (PTWC) qui gère par interim l'alerte pour l'Océan Indien.
Le séisme a été suivi de nombreuses répliques de magnitude comprise entre 5.0 et 6.0, localisées au nord-ouest de l'événement principal. Suite à une réplique plus importante (Mw 7.9), qui s'est produite à 23 h 49 TU, le PTWC a envoyé de nouveau une alerte dans l’Océan Indien (magnitude supérieure à celle du critère d’alerte du bassin). La réplique a eu une magnitude supérieure à celle du séisme de Java 2006 (7.7) mais n’a pas induit de tsunami.
Son épicentre était en effet situé très près de la côte et son foyer plus profond : 44 km (au lieu de 23 pour le choc principal du 12 septembre), et moins de 20 km pour le séisme de Java en 2006.

Le séisme

Inversion des ondes de surface

L'inversion du tenseur des moments sismiques est effectuée dans le domaine des fréquences à partir des modules spectraux des ondes de Rayleigh et des ondes de Love (Reymond et Okal, 2000). Le mécanisme obtenu en utilisant 60 stations IRIS et GEOSCOPE, dans la bande [205s - 340s] a donné un mécanisme similaire à celui obtenu par l'inversion des ondes de volumes, et une magnitude de 8.4 (Figures 3 et 4).
La solution est (Φ,δ,λ ) = {328, 11, 114}, où Φ est l'azimut par rapport au nord, δ l'angle de pendage du plan de faille, et λ, l'angle du vecteur glissement par rapport à l’horizontale, sur ce plan. Le glissement (114°) est donc assez proche d’un axe vertical, le long d’un plan incliné de 11°, et orienté à 328° par rapport au Nord. Cette solution est cohérente avec les caractéristiques de la zone de subduction de la plaque océanique Indienne sous l’Indonésie, au voisinage de Sumatra.

 Figure 3 : Inversion PDFM (Preliminary Focal Mechanism Determination) réalisée au LDG Pamatai. Visualisation du mécanisme et des plans de failles par une projection sur une demi-sphère inférieure ; les zones en compression (P) sont matérialisées par des zones en grisé, et les zones en dilation en sont le complément.Le régime des contraintes principales en pression (P) obtenu par cette inversion, donne un axe orienté selon un azimut : 217° et un angle de plongement : 35°, (pour l'axe des contraintes principales en tension T l'azimut: est de 28°, et le plongement de 55°). On retrouve bien un couple principal en compression de direction générale SW – NE, compatible avec la subduction de la plaque Indienne sous la plaque Eurasienne.

    

 Figure 4 : Diagrammes de rayonnement des ondes de Rayleigh (à gauche) et de Love (à droite), calculés à diverses périodes : les traits continus correspondent au modèle théorique de source obtenu par la solution PDFM à ces périodes :{azimut=328° pendage= 11° glissement=114°}, Mo = 4.6E21 N.m, Prof = 30 km} ; Les points correspondent aux valeurs observés des modules spectraux pour les différentes stations utilisées. Nota : l’inversion du mécanisme au foyer est effectuée dans le domaine des basses fréquences, pour limiter les problèmes de directivité de la source.

Inversion des ondes de volume


A partir des ondes de volume P et S enregistrées sur 14 stations large-bande distantes de 3000 à 10000 km du séisme, on cherche à déterminer par inversion les caractéristiques statiques de la source sismique (mécanisme au foyer, profondeur et durée de la rupture), ainsi que certains paramètres cinématiques (amplitudes du glissement sur la faille, vitesse de rupture) (Vallée et Bouchon, 2004). Les résultats sont présentés sur la Figure 5. Les paramètres géométriques obtenus sont cohérents avec la tectonique régionale : l’azimut, le pendage et le glissement de la faille (respectivement 325°, 15° et 100°) confirment un séisme de subduction inter-plaques généré par la convergence vers le nord-est de la plaque Australie sous la plaque de Sunda (Indonésie). La bande de fréquence utilisée pour inverser les signaux (entre 150 s et 40 s) permet de déterminer deux zones de glissement à 2 profondeurs différentes (Figures 5 et 6). La rupture s’est propagée vers le nord-ouest sur 200 km environ, pendant un peu plus de 2 minutes. La magnitude de moment de cet évènement vaut Mw = 8.5 . Un fort séisme (Mw 7.9), vraisemblablement induit par le premier choc, est survenu 12 h plus tard, avec une rupture qui s’est aussi propagée vers le nord-ouest, et un hypocentre proche de la fin de la rupture du premier séisme. Ces 2 séismes sont les 4ème et 5ème de magnitude supérieure à 7.8 de ces 7 dernières années localisés au large des côtes ouest de Sumatra. Depuis le 26 décembre 2004, plus de 2000 km de faille ont ainsi été rompus lors de ces gros séismes de subduction.


Figure 5 : Modèle de rupture et comparaison des formes d’onde enregistrées (en noir) et simulées (en rouge) filtrées dans la bande [150 s – 40 s]. Les ondes télésismiques SH sont représentées dans le cercle intérieur jaune et les ondes télésismiques P dans le cercle extérieur rouge. A droite, l’amplitude du glissement sur la faille met en avant l’existence de deux zones de fort glissement à deux profondeurs différentes. L’extension horizontale du glissement est de 200km environ. L’hypocentre est indiqué par une étoile blanche (http://www-geoazur.unice.fr/SEISME/SUMATRA120907/note1.html)


 Figure 6 : Représentation du glissement sur la faille. En rouge sont représentées les zones où le glissement est le plus important (estimé à plus de 10m).


Le tsunami

Ce séisme de subduction, de mécanisme chevauchant et de profondeur superficielle, a généré un tsunami observé dans tout l'Océan Indien. Les premiers résultats des mesures effectuées sur le terrain (Figure 7) ont montré que l'eau a pu monter localement jusqu'à des altitudes de 4 m (run-up), avec des pénétrations à l'intérieur des rivières notamment. Le tsunami a donc été important localement, mais n'a pas occasionné de nombreuses victimes, du fait des faibles densités de populations locales sur les côtes.



 Figure 7 : Résultats préliminaires d'une mission de mesures réalisée entre le 15 et le 18 septembre 2007 dans la région de Bengkulu (Borrero, Hidayat et Suranto, USC et BPPT). Bengkulu aurait été atteinte par des vagues de 1 à 2m. La photographie de gauche a été prise dans la région de Lais et celle de droite vers Muara Maras.
http://www.usc.edu/dept/tsunamis/2005/tsunamis/2007_sumatra/index.html.



Propagation dans l'Océan Indien

Le tsunami s'est propagé dans l'Océan Indien, comme en ont témoigné rapidement les premières données marégraphiques. A 12 h 32 TU, le PTWC a annoncé une hauteur marégraphique de 35 cm à Padang, révisée à 56 cm à 13 h 22 TU. Au même moment, la hauteur marégraphique à Cocos était rapportée à 11 cm. Une donnée très utile pour qualifier le tsunami est provenue de la bouée DART (Deep Ocean Assessment and Reporting of Tsunamis), positionnée au large de la Thaïlande depuis fin 2006. Ce système, qui est constitué d'un capteur de pression de fond de mer relié à une bouée émettrice, est capable de détecter des tsunamis de 1 à 2 cm. Le 12 septembre 2007, ce capteur a enregistré le tsunami à partir de 14 h TU. Les mesures fournies en temps réel sont confrontées à des modèles précalculés, qui permettent d'estimer rapidement l'ampleur du tsunami et de confirmer la magnitude source. Ainsi, le 12 septembre 2007 à 19 h 46 TU, l'organisme PMEL responsable de ces calculs a confirmé la magnitude de 8.3 (Figure 8).



Figure 8 : Premier modèle proposé par l'organisme PMEL pour ajuster les données du DART Thaïlandais (en haut), et modèle finalisé disponible sur le site internet http://nctr.pmel.noaa.gov/sumatra20070912.html (en bas).

Les modélisations réalisées au CEA ont permis de montrer que les données du DART sont compatibles avec une magnitude entre 8.2 et 8.4 (Figure 9).


 Figure 9 : Modèles réalisés les 12-13 septembre au CEA-DASE pour ajuster les données DART. Le signal observé est en noir. Plusieurs modèles ont été testés, et confirment une magnitude source entre 8.2 et 8.4.

Ces premiers calculs ont également souligné la difficulté d'estimer correctement la zone épicentrale rapidement. En effet, un premier modèle (courbe rouge), réalisé en faisant l'hypothèse d'une rupture s'étendant vers le sud, n'ajuste pas les données DART, ni en temps d'arrivée (trop tardif), ni en amplitude (magnitude sous-estimée). Ces modèles réalisés au moment de la propagation du tsunami sont insuffisants pour définir correctement l'ampleur du phénomène. Seule une combinaison linéaire de calculs réalisés préventivement, voire une inversion des signaux, permettrait d'exploiter au mieux ces données DART. A noter : une nouvelle station DART, récemment déployée au large de Sumatra (octobre 2007), améliorera la réactivité du système d'alerte pour les événements provenant d'Indonésie. Finalement, le tsunami a été enregistré en de nombreux sites marégraphiques (Figure 10), en Indonésie (jusqu'à 2 m crête-creux), puis vers l'ouest, où les hauteurs marégraphiques ont encore atteint 1 m environ.





Figure 10 : Marégrammes observés, de haut en bas, à Padang, Sibolga, Rodrigues, Salalah (University of Hawaii Sea Level Center)


Références

Reymond, D., E.A. Okal
Preliminary determination of focal mechanisms from the inversion of spectral amplitudes of mantle waves,
Physics of the Earth and Planetary Interiors, 121, 249-271, 2000.

Vallée, M., M. Bouchon
Imaging coseismic rupture in far field by slip patches,
Geophys. J. Int, 156, 615-630, 2004