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Modélisation préliminaire
du tsunami généré par le séisme
d'Alger, 21 mai 2003 |
Observations
et modèles
A la suite du séisme d'Alger du 21 mai 2003 (voir la page
spéciale CSEM-EMSC), des perturbations du niveau de la mer
ont été observées sur les côtes des îles Baléares, à Majorque,
Minorque et également Ibiza. Les témoins ont rapporté des
vagues atteignant 1 à 2 m, et une période moyenne de 10-12
minutes (Majorque) (voir par exemple ici). A Minorque une
dizaine de bateaux ont coulé et plusieurs autres ont été endommagés.
Le marégramme disponible de Palma (Figure 1 ; marégramme fourni
par l'Instituto Espanol de Oceanografia) montre une hauteur
maximum d'eau de 60 cm environ.
Figure 1: Marégramme de Majorque (fourni par María
Jesús Garcia, IEO)
Les variations du niveau de la mer peuvent être reliées
au tsunami généré soit par la déformation
cosismique sous-marine, induite par la faille associée
au séisme, soit à un glissement sous-marin.
Dans un premier temps, nous testons ici une source liée
à la déformation cosismique, qui est estimée
à partir des paramètres sismologiques déterminés
dans la solution CMT Harvard et d'un modèle élastique
simple (Okada, 1985). La déformation initiale (Figure
2) donne un déplacement moyen sur la faille de 85 cm.
Les premières inversions sismologiques réalisées
montrent cependant que la profondeur était plus superficielle
que celle utilisée ici (vraisemblablement égale
ou inférieure à 10 km), donc le déplacement
en surface pourrait être supérieur à celui
obtenu ici.
Dimensions
de la faille (km x km) |
40 x 20 |
Strike,
dip, rake |
56°,
46°, 71° |
Moment
sismique (Nm) |
0.201 1020 |
Rigidité
(Nm2) |
30 109 |
Epicentre |
3.52°E
- 36.98°N |
Profondeur
(km) |
17 |
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Figure 2: Déformation cosismique initiale calculée
avec les paramètres ci-dessus
On suppose que la déformation initiale est transmise
intégralement et instantanément à la
surface de l'eau, puis, les vagues de tsunami sont générées
par le retour à l'équilibre. Les longueurs d'onde
du tsunami sont supérieures à l'épaisseur
de la couche d'eau, donc la théorie des ondes longues
est valide. La simulation est réalisée en utilisant
une méthode par différences finies qui résout
les équations hydrodynamiques, en incluant les termes
non-linéaires.
Des grilles bathymétriques sont nécessaires
pour décrire le milieu de propagation, avec la vitesse
de propagation des vagues c qui se simplifie à l'expression
c = (gh)1/2. Pour rendre compte de l'amplification à
l'approche des côtes, le calcul nécessite d'utiliser
des grilles imbriquées. Nous utilisons les données
bathymétriques mondiales déduites de l'altimétrie
satellitaire (compilées par Smith and Wessel, 1997),
et construisons une grille au pas de 2' (environ 4 km) pour
décrire la Méditerrannée occidentale,
une grille de pas 30'' (environ 900 m) pour les Baléares
et des grilles de 10'' (environ 300 m) pour les îles
de Majorque et Minorque (Figure 3).
Figure 3: Domaine de calcul, et localisation des grilles dans
les Baléares.
Résultats
Les vagues atteignent les Baléares après environ
30 à 40 minutes, en bon accord avec le temps d'arrivée
déduit des données marégraphiques (Figure
4)
Figure 4: Surface de l'eau calculée après 25
minutes de propagation.
Les hauteurs maximales d'eau atteintes au cours de la propagation
(Figure 5) définissent une zone à énergie
maximale du tsunami, qui est perpendiculaire à l'azimut
de la faille (Hébert et al., 2001). Les Baléares
apparaissent ainsi comme bien exposées aux tsunamis
venant de cette région épicentrale algérienne.
Une animation de la propagation est également disponible
(.gif, ~8 Mo, or .mpeg,
530 ko).
Figure 5: Hauteurs d'eau maximales atteintes après
1h 30 min de propagation.
Aux Baléares, ce calcul préliminaire ne permet
pas de rendre compte des observations détaillées
: la construction de grilles bathymétriques fines autour
des marégraphes est indispensable. Les figures 6 et
7 ne montrent ainsi pas d'amplification notable, mais ne sont
pas nécessairement significatives à ce stade.
On remarque que les pentes sous-marines fortes autour des
îles peuvent favoriser une réflexion des vagues.
Néanmoins ce calcul montre des zones d'amplification
relativement plus forte sur les localités qui ont été
effectivement plus touchées, à Majorque (Porto
Cristo) et Minorque (Mao).
Des études plus fines sont désormais en cours
pour affiner les calculs localement.
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Figure
6: Hauteurs d'eau maximales atteintes à Majorque. |
Figure
7: Hauteurs d'eau maximales atteintes à Minorque. |
Commentaires
- Le modèle présenté ici est extrêmement
préliminaire, et n'utilise que des données bathymétriques
assez imprécises. Des données fines dans les
ports doivent être prises en compte pour rendre compte
des amplifications observées.
- Malgré tout, ce modèle indique que la source
cosismique peut expliquer les observations aux Baléares,
sans nécessiter de source type glissement sous-marin.
Le choc principal a été suivi de nombreux courants
de turbidite sur la marge algérienne, mais leur rôle
dans le déclenchement du tsunami n'est pas prouvé.
- Les observations le long de la côte algérienne
sont globalement plus modérées qu'aux Baléares,
mais une étude spécifique sur le risque tsunami
en Méditerranée pourrait préciser plus
en détail dans quelle mesure les côtes algériennes
sont exposées à ce type de risque (voir par
exemple Yelles-Chaouche, 1991).
- Il est enfin nécessaire de souligner que le réseau
marégraphique méditerranéen est pauvre,
du moins pour des applications de ce type où les périodes
des signaux recherchés sont typiquement inférieures
à 20-30 minutes : les marégraphes dédiés
aux études de marée ou de géodésie
ne sont pas exploitables dans ce contexte. Un réseau
dense et dédié à ces signaux permettrait
même de mettre en oeuvre des techniques d'inversion
de marégraphes qui peuvent aider à contraindre
les sources de séismes sous-marins (comme c'est le
cas au Japon, voir par exemple Tanioka et Satake, 2001)
Références
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Piatanesi, Far-field simulation of tsunami propagation in
the Pacific Ocean: impact on the Marquesas Islands (French
Polynesia), J. Geophys. Res., 106, C5, 9161-9177, 2001.
Okada, Y., Surface deformation due to shear and tensile faults
in a half-space, Bull. Seismol. Soc. Am., 75, 1135-1154, 1985.
Smith, W.H.F., et Sandwell, D.T., Global seafloor topography
from satellite altimetry and ship depth soundings, Science,
277, 1956-1962, 1997.
Tanioka, Y., et K. Satake, Detailed coseismic slip distribution
of the 1944 Tonankai earthquake estimated from tsunami waveforms,
Geophysical Research Letters, 28, 1075-1078, 2001.
Yelles-Chaouche, A., Coastal Algerian earthquakes: a potential
risk of tsunamis in western Mediterranean? Preliminary investigation,
Science of Tsunami Hazards, 9, 47-54, 1991.
Quelques
références du laboratoire sur le thème
Guibourg, S., P. Heinrich and R. Roche, Numerical modeling of
the 1995 Chilean tsunami. Impact on French Polynesia, Geophysical
Research Letters, 24, 775-778, 1997.
Hébert, H., P. Heinrich, F. Schindelé, and A.
Piatanesi, Far-field simulation of tsunami propagation in the
Pacific Ocean: impact on the Marquesas Islands (French Polynesia),
J. Geophys. Res., 106, C5, 9161-9177, 2001.
Hébert H., F. Schindelé, and P. Heinrich, Tsunami
risk assessment in the Marquesas Islands (French Polynesia)
through numerical modeling of recent and generic far-field events,
Natural Hazards and Earth System Sciences, 1, 233-242, 2001.
Hébert, H., A. Piatanesi, P. Heinrich, F. Schindelé,
and E. A. Okal, Numerical modeling of the September 13, 1999
landslide and tsunami on Fatu Hiva Island (French Polynesia),
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Heinrich, P., A. Mangeney, S. Guibourg, R. Roche, G. Boudon,
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Modeling of the February 1996 Peruvian tsunami, Geophysical
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Schindelé, F., D. Reymond, E. Gaucher and E.A. Okal,
Analysis and automatic processing in near-field of eight 1992-1994
tsunamigenic earthquakes: improvements towards real-time tsunami
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