Les Infrasons dans l'atmosphère
Les sources d’infrasons sont très variées. Elles sont d’origine naturelle (perturbations météorologiques, orages magnétiques, vents, houle océanique…), ou artificielles (explosions, avions supersoniques …). Les ondes infrasonores sont des ondes élastiques dont les fréquences se situent au dessous du domaine audible (<20 Hz), capables de se propager sur de grandes distances. Les ondes acoustiques se propagent par réflexions multiples sur les différentes couches de l'atmosphère et au sol, avec des vitesse de l'ordre de 330 m/s, plus ou moins aidées ou contrariées pas des vents en altitude. Certaines propagations peuvent bénéficier de guides d'onde notament dans la stratosphère et la thermosphère. Enfin certaines sources infrasonores sont sufisament puissantes (forte explosion volcanique ou nucléaire) pour secouer l'atmosphère en générant des ondes de gravité avec des périodes de quelques minutes. Ces propagations peuvent faire plusieurs fois le tour de la terre.
 
Infrasons d'origine troposphérique
 
Houle océanique et ondes de montagnes
Les infrasons les plus fréquents sont formés par l'effet des vents sur les montagnes et par la houle océanique. Ils se propagent sur des distances importantes et peuvent être observés dans pratiquement toutes les stations infrasons du monde. Un suivi de houle de l'Atlantique nord a pu être établi à partir de la station installée à Flers, en Normandie (Fig. 1).

D'autres part, parfois superposées à la houle, des ondes de période de 10 à 100 s sont fréquemment observées. Elles ont pour origine la formation de turbulences atmosphériques au-dessus de reliefs montagneux exposés à des vents violents. Elles peuvent être observées continûment pendant plusieurs jours. A partir d’observations en Mongolie, Guyane et Bolivie, les sources de production de ces ondes ont pu être localisées dans les chaînes de l’Himalaya et de la Cordillère des Andes.


Fig. 1 : Mesure sur une période de plusieurs jours de l'azimut de la houle océanique enregistrée à Flers. La couleur des points indique les valeurs calculées de vitesse horizontale dont les variations entre 0.34 et 0.39 km/s traduisent des inversions des vents en altitude. Les variations cycliques de l'azimut sont corrélées à des cartes de hauteurs des vagues sur l'océan atlantique.


Orages atmosphériques
Les orages atmosphériques constituent une autre source d'infrasons dont les effets sont plus locaux (jusqu'à quelques centaines de kilomètres d'un front orageux). Les infrasons générés par le tonnerre, ont une fréquence supérieure à 0,5 Hz. Ils peuvent être identifiés par comparaison avec les observations électromagnétiques des éclairs (Fig. 2). D'autres infrasons sont générés par les mouvements convectifs des masses d'air, la période est alors de l'ordre de la dizaine de minutes.


Fig. 2 : Détection par la station IS17 (Côte-d'Ivoire) du déplacement d'une perturbation orageuse.


Volcans
Les infrasons produits par certaines éruptions volcaniques peuvent encore être observés après avoir fait le tour de la terre. Des éruptions comme celles du Mont St Helens (Etats-Unis, 1980) ou du Pinatubo (Philippines, 1991) ont libéré des énergies comparables à celles d'essais nucléaires atmosphériques mégatonniques.
A une échelle continentale, les infrasons produits par l'Etna ont été détectés à Flers et un suivi de l'activité a pu être effectué de mai à juillet 2002. Une corrélation a pu être effectuée avec ces mêmes infrasons détectés par la station IS26 en Allemagne. En première analyse, la localisation effectuée par croisement d'azimuts ne concordait pas précisément avec la position de l'Etna et fluctuait dans le temps. Une correction des effets des vents de haute altitude a été nécessaire pour obtenir une localisation correcte (Animation). Les mesures des infrasons produits par les volcans pourraient trouver des applications dans les régions où les volcans sont peu surveillés, les cendres volcaniques étant dangereuses pour la navigation aérienne.

Annimation : Comparaison des localisations de l'Etna par croisement d'azimuts sans et avec correction des vents (noir/rouge).
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Séismes

Le 14 novembre 2001, un séisme de magnitude (Mm) 7.8 s'est produit au nord de la Chine. La station IS34 de Mongolie, située à environ 2000 km de l'épicentre a enregistré pendant plus d'une heure des signaux infrasons avec une variation d'azimut de 20 à 30° (Fig. 4). Une analyse détaillée de la vitesse de passage des premières ondes cohérentes détectées fait apparaître des valeurs caractéristiques d'ondes sismiques. Un des mécanismes qui explique ces grandes valeurs est le couplage avec l'atmosphère des ondes de surface lors de leur propagation. Une heure après ces premières arrivées, des ondes se propageant à des vitesses acoustiques ont été détectées. L'interprétation de ces mesures a permis de retrouver la distribution spatiale des zones de couplage entre les déplacements verticaux du sol et l'atmosphère. Ces enregistrements ont confirmé que les montagnes peuvent jouer le rôle de sources acoustiques secondaires lorsqu'elles sont mises en vibration juste après un séisme.


Fig. 4 : Localisation des sources secondaires d'émission des infrasons générés par le séisme de Chine.


Infrasons d'origine externe
 
La terre est également soumise à des perturbations d'origine externe. Comme les météorites entrant dans l'atmosphère et les éruptions solaires responsables des orages magnétiques et des aurores boréales.

Aurores boréales
Les aurores boréales produisent dans des régions de haute latitude, des ondes infrasonores de périodes 0,1 à 100 s lors du mouvement supersonique des arcs auroraux. Dans ce cas l'ovale auroral, qui se situe généralement dans les régions de haute latitude (~70°) s'étend à des latitudes plus basses de l'ordre de 45 à 50°. Même à moyenne latitude, la station infrasons de Flers (Normandie) a déjà enregistré des signaux qui ont été corrélés à des orages magnétiques majeurs.

Météorites
Les météorites produisent des infrasons lorsqu'elles pénètrent dans l'atmosphère et se désintègrent à des altitudes de l'ordre de 50-100 km. Lors de la pénétration dans l'atmosphère, un corps massif doté d'une vitesse bien supérieure à la vitesse du son, libère instantanément une grande partie de son énergie cinétique en provoquant la formation d'une boucle de choc dans le milieu. Il subit alors une forte décélération avant d'être fragmenté et d'éventuellement toucher le sol. La formation d'une onde de choc associée à la pénétration dans l'atmosphère s'accompagne de la génération d'infrasons dont la fréquence caractéristique permet de remonter à la taille et à la vitesse de la météorite.


La désintégration d'une météorite le 29 décembre 2000 au-dessus de Tahiti (Polynésie Française) a donné lieu à une rare détection sismo-acoustique par le réseau instrumental permanent installé par le CEA en Polynésie. L'événement, dont l'origine a été localisée à une distance d'environ 50 km de la station infrasons, a été analysé dans le but de retrouver certains paramètres de la trajectoire de la météorite. Les calculs ont permis d'estimer la taille du bolide (quelques mètres), et l'énergie libérée lors de l'explosion (une centaine de tonnes d'équivalent TNT). Lorsque le Système de surveillance international du Tice sera pleinement opérationnel, on estime que la fréquence minimale d'observation sera de 1 à 2 météorites de cette taille par an et par station.


Le 23 avril 2001, les satellites militaires américains ont détecté par infrarouge l'entrée d'un bolide dans l'atmosphère au-dessus de l'Océan Pacifique. Des ondes infrasonores ont été observées sur plusieurs stations du réseau de contrôle du Tice ainsi qu'à la station de Flers après plus de 10 000 km de propagation (Fig. 5). L'énergie totale de l'explosion a été estimée à 1 kilotonne. Statistiquement, une ou deux météorites produisant une énergie supérieure à 1 kilotonne sont observées chaque année à l'échelle planétaire. Ces mesures enrichissent la base de données des météorites de la FIDAC (International Meteor Organization's Fireball Data Center), maintenue jusqu'à présent en utilisant d'autres systèmes d'observation.


Fig. 5 : Localisation de la zone de désintégration de la météorite du 23 avril par croisement d'azimuts.


Quelques exemples d'infrasons produits par l'activité humaine
 
Les stations infrasons du Tice doivent pouvoir être testées en permanence pour contrôler leurs performances. Les infrasons d'origine artificielle comme les tirs de carrière ou les avions supersoniques dont la source est connue sont utilisés pour optimiser les méthodes de détection et comprendre les effets de la propagation sur les signaux détectés.


Avions supersoniques
Les infrasons engendrés par les avions supersoniques présentent une complexité qui les rapprochent de ceux engendrés par les explosions nucléaires, bien que ces dernières constituent une source puissante capable d'exciter des basses fréquences non excitées par le passage d'un avion supersonique. Par exemple, les signaux générés par le Concorde à l'approche des côtes européennes étaient enregistrés régulièrement par plusieurs stations en Europe, et en particulier sur la station de Flers. Les différentes phases détectées correspondaient à des trajets différents dans l'atmosphère (Fig. 6). Des modélisations par tracés de rayons ont été utilisées pour identifier ces phases et expliquer les paramètres mesurés.

Fig. 6 : Traitement par corrélation des ondes infrasonores générées par le Concorde. Les valeurs de vitesses horizontales et d'azimut sont codées sur des échelles de couleurs dans des diagrammes temps-fréquence. Plusieurs arrivées successives sont observées avec des vitesses horizontales croissantes. Les premières phases [1-2-3] se sont réfléchies dans la stratosphère (40-55 km). En raison des vents dominants qui soufflent dans la direction de propagation, ces phases ne sont observées qu'en hiver. La dernière phase [5], de fréquence plus basse, s'est réfléchie dans la thermosphère (100-115 km).


L'analyse et l'interprétation des signaux du Concorde sur une période continue de deux ans, a permis de montrer l'apport de la modélisation pour expliquer des déviations importantes de l'azimut. Les variations des caractéristiques des signaux ont été corrélées aux variations diurnes et saisonnières des vents stratosphériques. A certaines périodes de l'année et heures de la journée, ces déviations peuvent atteindre 5° par rapport à l'axe initial de la propagation. Elles devront être corrigées systématiquement afin de réduire les erreurs pour la localisation de sources infrasonores. Ces mesures, confrontées à la modélisation, sont nécessaires pour une identification de phases non ambiguë, étape indispensable à la localisation des sources.


Tirs de carrière
Les explosions en surface comme les tirs de carrière ou tirs d'artillerie sont également des sources intéressantes pour contrôler l'efficacité de détection et de localisation, particulièrement lorsque des mesures sismiques peuvent être associées. L'exploitation des temps d'arrivée des ondes sismiques et infrasonores associées à des modèles de vitesses appropriés, permet de localiser la source. Une cartographie des principales activités minières est alors établie jusqu'à des distances de plusieurs centaines de kilomètres de la station (Fig. 8). Elle s'avère indispensable pour la discrimination.

Fig. 8 : Carte de sismicité autour la station IS34 (Mongolie). Les localisations des principales carrières par synergie sismique/infrason sont indiquées par des points rouges. En bas : exemple de signal infrason généré par un tir à une distance de 150 km de la station.


L'essentiel de ces travaux s'effectue souvent en partenariat avec d'autres organismes. En particulier, les codes de simulation ont été développés en collaboration avec le Laboratoire Géosciences Azur de l'Université de Nice Sophia-Antipolis, ainsi que l'Université de Hawaii (Institut de Géophysique et de Planétologie). Le traitement des données enregistrées sur les stations du réseau de contrôle du Tice est réalisé en liaison avec les organismes responsables de ces stations (Research Center of Astronomy and Geophysics pour la Mongolie, l'Observatoire San Calixto pour la Bolivie, l'Institut et Observatoire de Géophysique d'Antananarivo pour Madagascar, l'Observatoire de Lamto pour la Côte d'Ivoire et le laboratoire de Pamatai (CEA) pour la station de Polynésie).